De quoi demain sera t-il fait?

Jean-Lou Fourquet
Après La Bière
Published in
8 min readJul 5, 2017

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Au détour d’un café réchauffé débordant sur un appel d’offre à terminer pour hier, on trouve toujours le temps avec Guillaume de s’envoyer des liens qui vont de l’attaque d’un bar de vegan à coup de saucisses en Géorgie, au top 10, réducteur mais très drôle, des phrases de Nicollin en passant bien sûr par une vidéo plus qu’intéressante sur les scénarios de sortie de notre époque: l’anthropocène.

Yo Guillaume,

Depuis une grosse quinzaine d’années, je pense que je fais partie du club des “décroissants”, un malthusien des temps modernes, qui croit dur comme fer que cette croissance infinie est forcément et à relativement court terme impossible. J’ai jamais trop aimé le terme “décroissant”, un peu trop sacrificiel à mon goût, lui préférant des termes un peu plus excitants genre “sobriété heureuse”, “simplicité volontaire”, “moins de biens, plus de liens”, “on aura moins de confort mais on aura des pâquerettes plantées dans les cheveux et ça, ça n’a pas de prix”, tu vois bien le genre!

C’était logique, scientifique et mathématique, il était physiquement impossible de continuer la voie dans laquelle on s’était engagés, il s’agissait de règles simples de thermodynamique auxquelles la nature allait se charger de répondre de manière sèche, autoritaire et probablement un poil tempétueuse. La meilleure stratégie quant à l’avenir, c’était bien de choisir, de vouloir décroître avant que les ressources ne nous l’imposent, que surtout nous ne subissions pas car quoi qu’on fasse dans la vie, c’est la sensation de la subir qui est intolérable.

C’est notamment grâce à la pédagogie et l’intelligence extraordinaire d’un Tim Urban de WaitButWhy que je me suis ouvert à la possibilité que des personnes intelligentes envisagent d’autres scénarios pour demain. Mon email à Tim Urban lui-même sur les lourdes carences de son article sur l’énergie et mon conseil de regarder l’analyse de Jancovici n’y firent rien, Tim resta droit dans ses bottes et enchaîna avec sa série d’articles désormais légendaire sur Elon Musk.

Quand on pense que l’avenir de l’humanité réside dans des low-techs et des potagers sur les rond points des villes pour construire une société moins énergivore, l’idée d’envoyer 1 000 000 de types sur mars grâce à des réservoirs de kérosène géants, phalliques et virevoltants peut sembler quelque peu saugrenue voire complètement hors-sujet, et ce même si le nom des moteurs de la dite fusée est quand même beaucoup trop sympa: les moteurs “Merlin”.

En lisant ces articles, j’ai commencé par me dire: “comment un mec aussi intelligent passe à côté de principes aussi évidents que les limites de notre monde?”, “comment ne voit il pas le mur dans lequel on fonce et que toutes les fusées du monde ne suffiront pas à contourner?”. Et puis finalement, de la même manière qu’en prépa je remettais en question mes raisonnements mathématiques face à des gens dont le cerveau tournait clairement sous Windows 10 alors que je ramais aux avirons avec mon Windows 3.1, j’ai commencé à remettre en question mes certitudes, puis forcément les scénarios et les prévisions qui en découlaient et que je pensais inébranlables … forcément.

Et il y a donc cette vidéo dont je te parlais, de l’extra-ordinaire chaîne CrashCourse (si je devais amener une seule chaîne youtube sur une île déserte, ce serait celle là, ouais bon me broutez pas, je sais que c’est pas possible mais vous êtes pas non plus des bêtes, vous avez saisi l’image) que j’ai découverte il y a quelques mois et qui appuie sur “mon” point sensible:

Activez les sous-titres en anglais puis “traduire automatiquement” (tout en bas) et français, et ça passe :)

Cette vidéo fait partie d’une série de 10 vidéos qui traitent de la “grande histoire” (big history) et qui nous trimbale depuis le Big Bang il y a 13,8 milliards d’années jusqu’à la fin de l’univers dans 10^40 années (en gros, dans beaucoup beaucoup de milliards d’années). Dans la neuvième vidéo de cette série, il est question du fameux “Anthropocène”, le nom géologique proposé pour définir l’époque de l’histoire de la terre où “les activités humaines ont eu un impact global significatif sur l’écosystème terrestre”. Le terme est largement utilisé et fait son petit bonhomme de chemin vers l’officialisation, il y a fort à parier que dans 20 000 articles scientifiques, 4524 thèses et 32 congrès, les géologues, gardiens du temple du respect des âges géologiques adouberont finalement le terme après 50 ans de recherche et 5°C de changement climatique bonus.

Dans cette vidéo, après avoir passé une bonne partie de la vidéo à énumérer les avantages (pro) et les désavantages (con) de ce fameux anthropocène, Hank Green (l’un des deux frères créateurs de la chaîne) évoque 3 scénarios possibles pour demain:

Scénario 1: Nous sommes miraculeusement sauvés par une technologie

Scénario 2: Nous nous effondrons misérablement dans un fatras de ruines et de cendres

Scénario 3: Nous pouvons guider la société humaine dans une “descente créative”, un doux déclin de la complexité vers des existences plus simples et frugales.

Et sans spoiler, les scénarios 2 et 3 ne plaisant guère à Hank, il conclue avec un fabuleux et pour le moins péremptoire:

“Je suis à fond pour le scénario 1”

Il est à fond pour ce scénario alors que non seulement il est loin d’être con (regardez la playlist philo pour vous en convaincre) et qu’en plus, il est parfaitement conscient de la précarité de ce scénario puisqu’il le nomme lui-même “miraculeusement sauvés par”. C’est là que j’ai compris qu’utiliser ces formulations revenait à avoir l’intelligence d’assumer que dans le choix de ces scénarios, il s’agit à un moment donné de croyance et d’espérance, ça revient à dire: “je veux croire que le scénario 1 est possible, c’est ce scénario là qui me fait rêver”

De la même manière que je me suis rendu compte en première et terminale que tous les gens qui croyaient en dieu n’étaient pas forcément complètement débiles, j‘ai commencé à me rendre compte avec cette vidéo que moi aussi, je “croyais” et j’ “espérais” un scénario et que des gens qui semblaient des millions de fois plus intelligents que moi pouvaient “croire” en autre chose… Un peu la même sensation que lorsque je me suis rendu compte que “non, le seul but de la communion n’est pas d’avoir une nouvelle swatch”:

Où est Charlie?

Et sa croyance à Hank, pourquoi pas au final? Il l’argumente bien son amour du scénario 1, son amour de cette formidable aventure humaine que représente la complexification de notre société et des découvertes incroyables dont ce chemin complexe est pavé. J’ai beau ne pas croire ou bien espérer ce scénario, je ne miserai pas non plus mes 3 tee-shirts et mon pull à capuche sur la faisabilité du scénario de la descente créative non subie. Ce à quoi je veux croire, par contre, c’est à notre capacité à créer la meilleure version possible de n’importe lequel scénario qui adviendra, qu’il s’agisse d’une déclinaison du 1 ou du 3 (pour le 2, je ne suis pas certain qu’il existe une “bonne” version), on peut faire en sorte de l’’améliorer pour qu’indépendamment de notre croissance matérielle, on maximise l’épanouissement et le bonheur de tous.

Ça revient à dire que quelque part, quelque soit le scénario, ce qui compte c’est d’en faire un scénario pour tous et par tous. Je préfère (et de loin) une descente créative où nous descendons tous de la même manière avec de nouveaux idéaux sociétaux décidés collectivement plutôt qu’une explosion de complexité, de production et de richesse où quelques personnes s’accapareront une immense partie du gâteau pourtant cuisiné par l’humanité toute entière en laissant, tels des grands seigneurs, les plus chanceux avoir les restes.

Oui mais, dans d’autres conditions, je peux facilement préférer le scénario de l’explosion. Ce qui fait qu’au final on préfère le scénario 1 plutôt que le 3, ce n’est pas le scénario en lui-même mais les conditions dans lesquelles ce scénario se joue. Et ce qui influe sur ces conditions qui rendent les scénarios soit dramatiques, soit inspirants, ce sont, je crois les mêmes valeurs et les mêmes émotions positives après lesquelles nous sommes, grâce à des millions d’années d’évolution, quelque part “heureusement programmés” à courir: l’altruisme, la compassion, la compréhension de l’autre, le partage, l’amitié, le lien.

C’est peut être de tout ça qu’est composé ce supplément d’âme que Bergson évoque, ce supplément d’intelligence et de conscience qui permettrait à l’espèce humaine de compenser et maîtriser ce supplément de puissance que lui apporte la technique:

“Ajoutons que le corps agrandi (par la technique) attend un supplément d’âme” (Bergson)

Les arbres aussi y ont droit à leur supplément!

Une autre citation magnifique et qui va dans le même sens, c’est celle de Jean Rostand:

« La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d’être des hommes. »

Il nous faut donc travailler à mériter d’être des hommes, en créant une espèce et une organisation collective plus “sage”, plus “consciente” afin de parvenir à maîtriser cette puissance quasi divine que nous apporte la technique, et ce quel que soit le scénario qui au final adviendra.

Et cette croyance en la nécessité de la construction collective de ce supplément d’intelligence, de conscience, d’âme, je pense qu’elle est non seulement utile quelque soit le scénario qui se joue mais surtout, il ne tient qu’à nous de lui donner corps!

Pace é Salute,

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"La seule liberté, c'est de comprendre ses conditionnements", chroniqueur à ASI, abonnez vous à la gazette d'apreslabiere.fr : http://eepurl.com/dnS6WD