Existe-t-il des raisons “rationnelles” d’être “optimiste” en 2020 ?

Jean-Lou Fourquet
Après La Bière
Published in
19 min readDec 10, 2020

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Pour ceux qui n’ont pas le temps de lire, vous pouvez regarder le pendantLaBiere #16 où j’explique en live cet article.

J’écris assez souvent pour que transpire de mes articles le fait que je suis concerné par notre avenir commun. J’observe depuis 10 ans la construction par une humanité somnambule de ce qui me semble prendre la forme d’une belle rampe de lancement vers la constellation extinction.

En 10 ans d’observation de l’ “ouvrage”, j’ai souvent entendu à mon égard que j’étais « pessimiste » et puis moins souvent que j’étais « optimiste ».

0) POURQUOI EST-CE RASSURANT ET INTÉRESSANT D’ÊTRE “AU MILIEU” ?

Ça me conforte d’être considéré comme ni tout à fait optimiste, ni tout à fait pessimiste.

Se faire traiter à la fois de l’un et de l’autre est plutôt (me dis-je) bon signe, ça signifie qu’on parle :

  • À des gens qui ne pensent pas comme nous (les gens dont les pensées s’accordent ont tendance à s’auto-congratuler de “réaliste”)
  • Et dans les deux directions possibles optimiste / pessimiste (en simplifiant et en considérant les choses de manière linéaire).

Quelque soit votre position sur ce graphique, les gens qui sont à votre gauche seront des “pessimistes” et ceux qui seront à votre droite seront des “optimistes”. Il n’y a que pour le plus pessimiste d’entre nous qu’il n’existe pas sur Terre de “pessimistes”.

Me faire « traiter » d’optimiste me rassure donc énormément. Ça signifie qu’il y a encore des gens à ma gauche sur le graphique, et ça me situe dans un milieu toujours plus confortable que les marges. N’ayant pas la radicalité dans le sang, il continue à m’être inconfortable de me dire que j’aurai raison, seul contre tous. Sachant que bien souvent, lorsqu’on a raison tout seul pendant trop longtemps, on finit de toute manière par avoir tort.

Mais surtout, je trouve intéressant et riche dans ce cas d’être “au milieu”. Car même si comme le disait Valéry :

Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens.

Je pense qu’il faut être un peu modéré pour pouvoir comprendre tous les extrêmes dans un monde en polarisation accélérée. Et j’ai l’espoir que la modération, qui m’affecte et que je n’ai pas choisi, serve au moins à la compréhension des différents modes de pensées actuels ; aujourd’hui le mode de pensée “optimiste non effondriste”.

Soyons honnêtes, si j’en crois les retours et leur fréquence respective, je me trouve quand même plutôt dans le camp des pessimistes. Bien entendu, selon moi et comme tout le monde, je suis simplement « réaliste ».

Sur un sujet comme le covid, je me suis d’ailleurs de nouveau retrouvé dans le camp des gens qui s’alarmaient pour rien. Sauf qu’il y a une différence fondamentale entre taper le graillon avec un “climato-réaliste”¹ (cousin du climato-sceptique et du climato-optimiste) et avec un “rassuriste” :

Grâce à toutes ces mini-crises (oui oui, c’est mini par rapport à l’ “univers” dans lequel nous allons évoluer), nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que l’humanité met peut-être un peu trop d’entrain à la construction inconsciente de notre rampe de lancement vers l’extinction.

Mais pour conclure cette année qui a vraisemblablement foutu, plus qu’à l’accoutumé, le bourdon à quelques un.e.s, je voulais aujourd’hui partager quelques concepts et réflexions qui me font rationnellement comprendre les optimistes et penser, comme eux, que l’avenir ne sera pas nécessairement “ruines et effondrements”. Je veux le faire sans pour autant tomber dans le travers que je vois à longueur d’articles “DEMAIN”esques :

Alors quelles sont les possibilités “crédibles” qui me convainquent que :

“Non, l’effondrement apocalyptique de l’humanité n’est pas inexorable” ?

I) LES PHÉNOMÈNES EXPONENTIELS ET NOUS

a) Notre plus grande faiblesse, c’est de ne pas savoir appréhender la fonction exponentielle

Dans beaucoup des cercles où traîne ma curiosité, nous ne cessons de nous lamenter sur l’inertie humaine :

Cette inertie est en effet révoltante lorsqu’on l’observe confortablement installé dans notre poste d’observation de la galaxie “YaKaFokon X23”… Ceci étant dit, nous devons garder à l’esprit que notre capacité collective à ne rien voir venir n’a d’égale que celle que nous avons à nous jeter corps et âmes dans des “solutions” lorsque nous estimons les avoir trouvées. Bien entendu, j’espère que 2020 sonne le glas de notre mise en branle collective mais peu importe quelque part car, un jour ou l’autre, ce temps viendra… nécessairement!

“Ce temps venu”, la même humanité qui aura perdu 50 ans à trier les lentilles, ne perdra bizarrement plus un instant.

C’est pour cette raison que si vous êtes intimement convaincus de rails dans lesquels vous voudriez que l’humanité se lance, il est important de consacrer dès maintenant votre énergie à leur pose. Début 2020, au lancement du hors-série de Socialter consacré aux imaginaires, j’ai entendu l’auteur de SF Damasio dire (de mémoire) :

“Les imaginaires collectifs sont les réflexes qui s’actionnent collectivement lorsque la situation change brutalement”

Les réflexes collectifs que nous voudrions voir s’actionner quasi-automatiquement demain nécessitent TOUTE notre énergie AUJOURD’HUI. Une fois l’humanité lancée sur des rails, il sera un peu tard pour proposer des voies parallèles.

L’humanité est capable de bouleversements, elle l’a prouvé par le passé et nous avons toutes les difficultés du monde à nous en rappeler. Cette difficulté est due :

  • À la vitesse avec laquelle nous intégrons l’incroyable d’hier à la normalité d’aujourd’hui (songez au port du masque)
  • Notre incapacité chronique à “nous souvenir” et plus généralement à “appréhender” les phénomènes non-linéaires.

En ce qui concerne cette incapacité à appréhender les phénomènes non-linéaires, j’ai été marqué par le cours d’un certain professeur Albert Allen Bartlett². Il y explique, à l’aide de multiples exemples, le fonctionnement de la fonction exponentielle et comment selon lui :

« La plus grande faiblesse de l’espèce humaine vient de son incapacité à comprendre la fonction exponentielle. »

On « sort » de son cours avec le sentiment que notre sort est scellé, que la seule chose que l’humanité est capable de faire, c’est d’engendrer des exponentielles insoutenables puis d’attendre sagement leur explosion en plein vol. Et que dit l’année 2020 si ce n’est :

“Ce bon vieux Albert, il disait pas que des conneries quand même non ?” - année 2020

On a beau avoir fait la connaissance approfondie de l’exponentielle et de ses caractéristiques au mois de Mars, ça ne nous a pas empêché d’être de nouveau surpris par ses propriétés 6 mois plus tard :

Source : https://covidtracker.fr/

Et sur twitter, même si l’impertinence transpire davantage, l’idée est la même …

La team défaitiste peut se targuer d’avoir Bartlett et 2020 dans l’équipe. On rentre aux vestiaires après la première mi-temps, condamnés à se laisser surprendre en deuxième mi-temps par les exponentielles nous catapultant vers la constellation “extinction”.

Mais avoir cette réflexion, c’est occulter le fait que Bartlett ne parle que des exponentielles “à risque”. A aucun moment il n’évoque les exponentielles qui viendraient augmenter les capacités de la civilisation humaine à transformer le monde à son “avantage”. Pour avoir une vision un peu moins biaisée du monde, il faut observer toutes les exponentielles : celles qui nous font peur autant que celles qui pourraient nous donner de l’espoir.

Soyons simplement conscients que c’est la fonction exponentielle “en général” qui nous court-circuite le cerveau.

Nous avons été aussi aveugles face aux exponentielles des problèmes — comme celle décrivant l’augmentation des émissions de GES, des catastrophes naturelles et des morts du Covid — que nous le serons face aux exponentielles d’hypothétiques « solutions » — comme celles qui décriront peut-être l’augmentation des panneaux PV dans le monde, la vitesse des progrès de la fusion, l’attrait exponentiel pour des modes de vie plus sobres ou bien tout autre chose qui donnerait un peu d’air à l’humanité.

b) Des changements de paradigme technique sont possibles et peuvent être rapides

L’exemple qui est sûrement le plus symbolique est l’exemple de l’agriculture au XIXème siècle. Lors de la grande famine Irlandaise (1845–1851), les britanniques laissèrent les irlandais mourir de faim. C’est notamment en se basant sur l’ “essai sur le principe de population”, écrit en 1800 par Malthus et à l’origine de l’expression Malthusianisme, qu’ils légitimèrent leur stratégie.

Les britanniques considérèrent qu’il était vain de lutter contre les famines car le phénomène était naturel selon les théories malthusiennes. Malthus expliquait dans son essai que les pandémies, les guerres et les famines n’étaient que la conséquence d’une population qui a grandi au-delà des capacités nutritionnelles de son environnement³. De là à dire que lorsqu’une famine pointe le nez, il n’y a qu’à regarder et à attendre que la nature “fasse son œuvre”, il n’y a qu’un pas que l’empire britannique de l’époque franchit.

En effet, il était rationnel au XIXème siècle penser qu’il n’était pas possible de nourrir plus d’un milliard d’humains. Les terres arables n’étant pas infinies, il n’était pas envisageable d’utiliser plus de terres que l’humanité n’en disposait. Ces terres associées aux techniques agricoles de l’époque ne pouvaient garantir l’alimentation que d’un nombre limité d’être humains. L’argument “il n y a pas de croissance infinie dans un monde fini” s’appliquait tout autant à la finitude d’alors (les terres arables) qu’il s’applique à celle d’aujourd’hui (ressources minérales et énergétiques).

Techniquement, arithmétiquement, biologiquement, on peut estimer que la vision de Malthus est … juste! Seulement, au regard de l’Histoire et du devenir de ces limites passées, il est difficile d’accepter l’immobilisme criminel qui en a alors découlé. Et il est impensable de le reproduire aujourd’hui avec nos limites actuelles.

Avec le recul, il est facile de comprendre que la vision de Malthus n’est juste que si on considère le monde comme étant immobile. Or, que nous le souhaitions ou non, notre monde n’arrête pas d’évoluer. Nous n’arrêtons pas de le transformer dans tous les sens, des bons comme des mauvais. Malthus ne pouvait pas anticiper que l’humanité parviendrait à déplacer les limites immuables de son époque.

Source

Il nous est de la même manière impossible de penser que nous pourrions bouger les nôtres. Nous les pensons bien évidemment tout aussi immuables que Malthus pensait les siennes.

Notre histoire a été ponctuée de réalisations impossibles. C’est, pour le meilleur et pour le pire, le propre de l’humanité.

  • Le feu était magique avant qu’on ne le maîtrise.
  • L’Amérique nous a semblé être à l’autre bout de l’univers avant de devenir un bout de notre monde.
  • La maîtrise de l’énergie nucléaire était littéralement “impensable” au début du XXème siècle avant notre irrémédiable saut dans l’ère nucléaire

Comment pourrions nous aujourd’hui prétendre connaître les limites de demain ? Il serait aussi ridicule de prévoir l’évolution précise de ces limites qu’il est ridicule de prévoir avec certitude leur immuabilité. Je ne dis pas que nous serons sauvés par une nouvelle révolution technique qu’il faudrait attendre les bras ballants. Je dis simplement qu’une partie de l’humanité s’agitera dans ce sens et qu’il est prétentieux de prédire par avance que rien de ce qui sortira de cette agitation ne changera notre donne commune.

Exemples et rapidité

Il est intéressant de réaliser que non seulement ces évolutions techniques sont possibles mais elles peuvent être d’une rapidité … exponentielle. L’exemple de la diffusion des voitures est un exemple classique et efficace souvent repris par les « gourous » de l’automobile.

Voici la célèbre 5ème avenue en 1900. Dans cette masse de calèches menées crothin-crotha par des chevaux, se cache une “voiture”.

Et voici la même avenue, 13 petites années plus tard, à la même époque. Au milieu de tous ces moteurs toussotants, se camoufle une mini-calèche, tractée par un cheval solitaire.

En 13 ans, le plus naturellement du monde, un chambardement de la mobilité s’est produit et ce, dans un monde qui ne connaissait pas notre célérité actuelle.

Dans les années 80, l’opérateur américain AT&T commanda une étude au célèbre cabinet McKinsey : quelles seraient les perspectives de la téléphonie mobile aux Etats-Unis en 2020 ? 6 mois plus tard, McKinsey, avec la certitude que seul un cabinet qui sait pertinemment que ses prédictions ont la puissance prémonitoire du 3615 Irma, annonça que la téléphonie mobile constituerait un marché de niche qui, en 2020, ne dépasserait pas les 900 000 souscripteurs.

900 000, c’était donc la limite du marché de la téléphonie mobile aux USA …

Bien vu l’aveugle, l’ordre de grandeur du plantage est d’un modeste 120, un peu comme si on avait dit qu’il y aurait autant de morts par coronavirus que par accidents de trottinettes.

Dans la même thématique, ceux qui ont vécu les années 90 ont quelque part « vécu » et ont « reproduit » dans leur esprit l’erreur McKinsey (sauf que nous, nos erreurs d’appréciation, on n’est pas assez forts pour les vendre). On voyait dans les films du début des années 90, des types se servir dans des limousines de téléphones aux proportions pas tout à fait pratiques :

« Pas de souci, je dois juste m’étirer la main droite 2 minutes là puis je saute dans un taxi »

Et pourtant, à aucun moment, nous nous sommes dit que cet objet allait changer le monde et notre manière de l’appréhender.

souvenirs, souvenirs

On n’imaginait pas, qu’un jour nous en aurions tous un ou bien si peut-être, mais que cela prendrait des décennies, qu’on aurait notre première cabine téléphonique portable lorsqu’on irait chercher notre baguette en vaisseau. Or, la sensation que nous eûmes fut assez incroyable : un beau jour, nous nous sommes levés et “pouf”, la France entière avait un portable à la main.

Wikipédia, toujours fidèle au poste est là pour confirmer mes sensations subjectives :

Source : Téléphonie mobile en France (Wikipedia)

En l’espace de 4 ans, nous sommes donc passés de 10% de la population française totale (bébés et 5ème âge compris donc) possédant un portable à 60% (en gros tous les actifs adultes). Notez l’atteinte du assez délirant 108% de pénétration de marché en 2012, dernière année où cette donnée semble disponible. Passé cette date, on a à priori arrêté de calculer cette valeur. Si les 100% ne sont en fait pas une limite, ça ne peut pas non plus rester un objectif. Pourquoi pas 200%, 1000%, 10 000% ? A quoi bon calculer un taux de pénétration qui n’a plus aucun sens ?

Si l’on veut se rendre compte de la vitesse à laquelle les choses peuvent changer, il suffit de se rappeler de ces quelques chiffres :

  • Internet a 30 ans
  • Google a 20 ans
  • Youtube et facebook ont 15 ans
  • Le premier iphone, c’était il y a à peine 10 ans

Dans “certaines” conditions, les paradigmes techniques changent en ce qui à l’échelle de l’Histoire n’est qu’un “instant”.

Nous ne sommes pas à l’abri que ces exponentielles nous permettent de sortir, demain, de certaines de nos ornières et notamment l’ornière “énergie décarbonée”, ornière parmi les ornières. Evidemment rien n’est certain — et peut-être ne serait-ce même pas une bonne nouvelle — mais je pense qu’il est étrange d’être à priori fermé à cette éventualité.

Vu l’ampleur des phénomènes actuels — contrainte énergétique, changement climatique, chute de la biodiversité, pollutions diverses, variées et massives — toutes les évolutions techniques du monde ne nous permettront pas d’éviter l’ouragan qu’on appelle pudiquement “transition”.

Pour atténuer ou bien pour encaisser les rafales à venir, il y aura des changements de comportement radicaux et quasi-impensables aujourd’hui. Lorsque le “moment” viendra, sans même y penser, l’évolution de nos comportements, de nos habitudes et de nos modes de vie se fera elle aussi avec une rapidité “exponentielle”.

Et s’il y a bien une chose que l’humanité sait faire, c’est d’inventer des cultures. Les changements culturels, nous en sommes tout autant capables que les évolutions techniques, si ce n’est davantage…

c) Les changements de paradigmes culturels sont possibles et inévitables

Ce qui est vrai pour le développement et l’adoption de nouvelles technologies l’est aussi pour les paradigmes culturels et sociaux. L’évolution de la morale suit parfois le même chemin “saccadé” que les évolutions techniques : des exponentielles puis des plateaux, puis de nouvelles exponentielles, formant ainsi des “S”.

C’est ce que Tim Urban de waitbutwhy décrit dans son article sur l’intelligence artificielle :

Dans un premier temps, de nouvelles idées et perceptions se diffusent progressivement dans la société. On parvient ensuite à un « point bascule » et d’un seul coup le système se met en branle, comme si les règles et les avis individuels évoluaient “soudainement”. S’en suit une période où la société “absorbe” ce changement brusque et le “mature”. J’avais déjà parlé de ce phénomène et du livre « The tipping point » qui décortique les mécanismes derrière cette diffusion d’un nouveau concept ou d’une nouvelle idée :

Pour illustrer ce phénomène, il y a une infographie que je trouve incroyable. Elle retrace l’évolution de certaines lois restrictives aux États-Unis par état : mariage « interracial », interdiction du vote pour les femmes, interdiction de l’avortement, etc. Elle montre ainsi la vitesse à laquelle les croyances collectives (traduites dans ce cas par les lois ou leurs interprétations) se propagent à l’échelle d’un pays comme les États-Unis. On peut voir l’évolution du nombre d’états levant une interdiction jusqu’à ce que l’état « fédéral » (au-dessus des états) finisse par imposer la fin de l’interdiction à tous les états (le cercle).:

Source: bloomberg

On voit bien dans cette infographie comment se diffuse une nouvelle morale au travers de la lorgnette législative et judiciaire. Tout d’abord le débat se répand dans tout le territoire avec quelques états qui sont à l’avant garde. Puis lorsque le point de bascule est atteint, on observe une accélération avec de nombreux états qui légifèrent sur le sujet dans un temps plus court. C’est finalement l’état fédéral qui entérine la bascule en validant cette nouvelle morale à l’échelle globale des USA.

Si on considère qu’un des facteurs limitant la rapidité avec laquelle se diffuse une nouvelle culture est “la vitesse des moyens de communication”, alors on est en droit de penser que les prochaines cultures se diffuseront bien plus vite que la philosophie des Lumières. Ce qui a pris des décennies il y a des siècles sera peut-être demain l’affaire d’années au pire et de quelques semaines au mieux

Les termes “pire” et “mieux” sont ici pertinent si on considère le changement dont il est question comme étant « positif » mais gardons à l’esprit que l’autre sens est tout à fait possible.

Regardez la vitesse à laquelle la société a bougé sur les questions de harcèlement, on a le sentiment d’avoir été complètement cons pendant des dizaines d’années et d’être devenus « un chouïa moins cons » en quelques mois. J’espère de toutes mes forces que le reste des sujets (que je trouve important) aillent encore plus vite dans la bonne direction.

Dans l’article de Waitbutwhy sur “Le cerveau américain”¹⁰, Tim Urban nous aide à réaliser la vitesse à laquelle l’opinion publique a évolué sur les questions de mariage “inter-races”. Il est impensable d’être contre en 2013 alors qu’il s’agissait d’un suicide politique en 1959 d’y être favorable.

La question n’est donc pas : “sommes-nous capables de changer assez vite ?”

Nous le sommes et nous changerons à une vitesse probablement jamais atteinte par le passé. La question est donc plutôt de savoir si ce changement prendra la direction que nous trouvons bonne et pour les plus militants d’entre nous: “comment maximiser les probabilités du scénario que nous trouvons bon ?” (ou bien “moins mauvais” pour les militants non-idéalistes).

Mais certains, tout en sachant qu’il y aura demain des changements majeurs, sont quand même globalement persuadés de notre destination future.

A ceux-la, j’ai envie de dire :

II) Il ne peut y avoir de certitude quant à demain

Dès que nous pensons qu’un scénario pour demain est « certain », c’est que nous n’avons pas assez conscience de la complexité du système dans lequel nous évoluons. Penser qu’il est possible de prévoir avec une certitude absolue l’évolution dans un sens ou dans l’autre d’un éco-système aussi large et aussi complexe que le nôtre, c’est faire preuve d’un grand manque d’humilité.

« The greatest friend of truth is Time, her greatest enemy is Prejudice, and her constant companion is Humility. » - Charles Caleb Colton

Attention ceci dit à ne pas tomber dans l’excès inverse, demain est certes incertain mais ce n’est pas pour autant que “tout est possible”. Je ne pense pas, par exemple, que nous puissions éviter dans les prochaines années, une période encore plus sombre qu’elle ne l’est déjà. Nous serons probablement les témoins, de notre vivant, d’une aggravation de la barbarie humaine. Elle ne nous avait d’ailleurs jamais vraiment quitté, même si nous voulions tant croire que son éloignement était synonyme d’anéantissement.

Tous les possibles ne sont donc pas accessibles à l’humanité mais la culture humaine nous en ouvre bien plus que la plus folle des imaginations individuelles.

On sent en ce moment que les mentalités évoluent à une vitesse dont nous ne pouvions que rêver il y a de ça quelques années. Ça évolue dans toutes les directions possibles, certaines qu’on avait appelé de nos vœux et d’autres, c’était inévitable, moins….

On sent en ce moment que le monde se tend tandis que les esprits s’échauffent et s’enflamment. Les différents courants se radicalisent, le monde se polarise et de plus en plus choisissent un camp.

Un monde qui arrête de réfléchir, c’est peut-être le signe que l’Histoire va entamer sa marche ?

Mais l’espoir réside dans ce terrain forcément unique et forcément nouveau sur lequel l’Histoire va marcher. Nous ne reviendrons pas “en arrière” pour la simple raison que c’est impossible. L’humanité ne désapprendra pas totalement ce qu’elle a appris ces derniers siècles. L’humanité ne pourra jamais faire “comme si” elle n’avait jamais connu l’énergie en abondance et l’hyperconnexion numérique. Nous serons probablement un monde énergétiquement plus “sobre” et nous n’irons surement pas au boulot en navette spatiale mais il est aussi improbable que nous revenions au moulin à vent et à la baïonnette. La voie sera “autre” et elle nous est, à tous, inconnue.

Notre situation actuelle est terrible car y transparaissent effectivement tous les signes de l’incertitude et des inévitables drames de l’histoire à venir mais elle contient également les germes de tous les chemins de traverse que nos organisations tenteront.

Si nous comprenons vraiment l’imprévisibilité d’un système chaotique aussi “simple” qu’un double pendule, comment pouvons-nous penser connaître la trajectoire d’un système aussi complexe que la civilisation humaine ? Et que dire de la biosphère dans son ensemble ?

CONCLUSION

Nous sommes aujourd’hui tel le pendule qui s’apprête à changer de direction. Notre principal espoir réside dans l’imprévisibilité, la vitesse et la force des changements culturels qui décideront de la prochaine oscillation du pendule humain.

Pour moi, la question n’est pas tant de prédire précisément la trajectoire du pendule, quête vaine et prétentieuse, mais de m’interroger en permanence sur la direction vers laquelle je veux pousser le pendule, moi et ma “nano-puissance”.

Le système actuel, n’est il pas le terreau de toutes les dominations ?

Ne vaudrait-il pas mieux lutter pour une remise à plat littérale, totale et radicale ?

Le monde, les individus, nos cultures sont-ils prêts à un tel reset ?

Un tel reset, tellement radical que toute la pudeur du monde ne suffirait pas pour continuer à l’appeler “transition”, ne générerait-il pas des souffrances tellement extraordinaires et insupportables pour tous les êtres humains qu’il serait difficile de militer en conscience pour un tel choc ?

Comment savoir? On ne peut pas, le pendule…

Certains pensent que l’être humain s’est toujours développé, a toujours envahi, a toujours conquis. Ce n’est pas si sûr… Ce qui me semble un peu plus certain, c’est qu’une des choses qui caractérise vraiment l’espèce humaine, c’est la prise de conscience de son existence, du bien et du mal, c’est notamment ce que raconte le mythe d’Adam et d’Eve.

Comme disait un ami :

“L’humanité, c’est comme un appendice de l’univers qui a pris conscience de lui même” Arnold (on sait que ça vient surement d’ailleurs, vos suggestions de source en commentaires)

J’avoue que s’il y a bien une tendance humaine, peut-être “originelle”, à laquelle j’aimerais bien participer, plus que la conquête de l’espace ou bien la lutte pour un système qui serait soi-disant bien meilleur, ce serait œuvrer pour qu’on prenne conscience un peu plus précisément des mécanismes des organismes “vyvants”¹¹ que sont les “sociétés humaines”.

En attendant je vous souhaite à tous,

Paix et santé,

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SOURCES / LIENS / POUR ALLER PLUS LOIN :

¹ La profession de foi des climato-réalistes pour les plus curieux d’entre vous
² La conférence/cours du professeur Al Bartlett : Arithmetic, Population and Energy
³ Une bonne introduction au malthusianisme est la vidéo de la chaîne Crash Course à ce sujet : “Population, Sustainability, and Malthus” — Sinon il y a également ce papier que j’ai trouvé intéressant : Migration and the escape from Malthus
Comment justifier l’injustifiable ? Le cas de la famine irlandaise
Evolution du rendement moyen annuel du blé France entière de 1815 à 2018
Jarrige dans son livre “Techno-critique” émet des réserves au sujet de cette vitesse. Je recherche le passage.
Ce document sur la “positive disruption” évoque cet exemple qui semble être un “classique”.
L’article de Waitbutwhy sur l’intelligence artificielle en anglais et en français
L’article avec cette infographie “This is how fast America changes its mind
¹⁰ Article “The american Brain” de Waitbutwhy. Disponible en français là: “Le cerveau américain
¹¹ La vidéo de Science étonnante qui explique la notion de “Vyvant

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